©William
Alcyon, 31.03.2018
Dans
son essai « Le
romancier et ses personnages »,
publié en 1933, François Mauriac critique ouvertement les auteurs
qui se croient « créateurs ». Pour lui : « les
romanciers ne créent rien. Ils ne font que s’inspirer de la
réalité ».
Paradoxalement, il déclare aussi au cours de son exposé : «
Le
romancier est, de tous les hommes, celui qui ressemble le plus à
Dieu ».
Deux
affirmations apparemment contradictoires ? Ou alors sommes-nous
là face à une étrange dichotomie ? Un paradoxe déjà
souligné par Aragon qui disait : « écrire,
c’est mentir vrai ».
Mauriac
semble poser le postulat d’un romancier toujours inspiré par la
seule réalité et ce pour l’ensemble des éléments suivants : la
trame de l’histoire qu’il va raconter, les décors qu’il va
peindre, et bien sûr les personnages qu’il va animer. Dans cet
article, c’est sur ce dernier point que nous allons nous
focaliser : les personnages ; toutefois, il nous faudra
constamment garder en tête la combinaison subtile de ces différents
éléments qui, habilement assemblés, constitueront la structure du
roman finalisé.
Alors ?
Le romancier écrit-il l’authentique, ne faisant que reproduire des
personnes issues de la réalité ? Ou bien, est-il créateur
tout puissant qui, tel le potier qui façonne la glaise, donne vie à
une entité à partir de son imagination ? La réponse se trouve
probablement entre les deux.
De
la personne au personnage
On
se trouve ici face à ce même clivage qui existe déjà entre
écriture d’information et écriture de création, entre l’écrivant
et l’écrivain.
Le
romancier n’est pas un journaliste, scripteur d’informations, il
ne retranscrit pas la réalité, ou alors partiellement, il invente
des histoires, et donc des personnages qui ne sauraient être (la
plupart du temps) des copies exactes de personnes réelles. Il
utilise donc un mélange subtil pour obtenir une sorte de
« synthèse » issue de divers éléments du réel
associés à d’autres purement imaginés. Le personnage de fiction
est ainsi créé à partir d’un assemblage finement dosé de la
part du romancier qui ne crée donc pas à partir de rien, il est
vrai, mais utilise des éléments (caractère, moralité,
psychologie, physique) issus de sa mémoire, de son vécu présent ou
passé, pour finaliser un être fictif, mais qui « sonne »
vrai. Pour réussir cela, l’auteur introduit donc différents
ingrédients qu’il extrait : de sa propre personne, d’autres
personnes observées, voire même parfois de personnages inventés
par d’autres (Michel Tournier et son personnage de Vendredi dans
Vendredi
ou les Limbes du Pacifique,
personnage « revisité » tiré du roman de Daniel Defoe
Robinson
Crusoé).
Le
romancier utilise alors une
liaison
particulière,
une sorte de frontière à cheval entre imaginaire et réalité, un
« espace interstitiel » en somme, où le « curseur »
utilisé par l’auteur pourrait librement se promener entre
invention pure et inspiration de la vie réelle. Voilà peut-être où
se situerait l’espace du « mentir vrai » d’Aragon
cité plus haut.
En
définitive, le personnage de roman est, de tous les éléments issus
de la plume de l’écrivain, celui qui doit être le plus
« soigné ». Il faut faire croire au lecteur à
l’existence du personnage. C’est un souci constant, au cours de
l’écriture, de vraisemblance, de cohérence, entre toutes les
dimensions qui constituent le personnage. A cet égard, la solution
la plus massivement pratiquée par le romancier est de créer
son personnage à partir d’une personne réelle, connue, et lui
adjoindre des caractéristiques à partir de sa propre imagination,
mais aussi de son expérience personnelle.
Toute
la difficulté pour l’écrivain réside dans la création d’un
être « vrai » mais qui soit intéressant pour le
lecteur. Malheureusement, la réalité peut être parfois d’une
grande banalité ; par conséquent, pour soulever l’intérêt
du lecteur, il faut que les personnages évoluent ! Certaines
péripéties doivent leur arriver, qui entraineront un changement, un
passage, une transformation. L’auteur évitera ainsi ce qu’il y a
de pire pour tout personnage de fiction : susciter l’ennui du
lecteur.
Jean
Cocteau a affirmé : « L’art
est un mensonge qui dit la vérité ».
Tout est affaire de dosage. Connaissez-vous la différence entre le
menteur et le mythomane ? Le mythomane ment trop et trop
souvent. Le menteur glisse un soupçon de mensonge entre deux
vérités. Ainsi, on peut croire un menteur, mais on démasque très
vite un mythomane. Le romancier doit donc concocter un personnage en
utilisant la technique du menteur, pas celle du mythomane. Ainsi, il
pourra donner naissance à des personnages presque
réels, et le lecteur sera intéressé par un récit vraisemblable,
tout en s’écartant de la grise réalité.
Somme toute, pour le romancier : créer des personnages de
fiction se révèle aussi être une question de dosage, de mélange
des différents ingrédients. Et, comme en cuisine, selon que
l’auteur ait un soupçon de talent ou pas pour assembler le tout,
le résultat pourra être sans relief ni surprise ou bien, parfois, un véritable régal.